Les mêmes sourires les mêmes larmes
Les mêmes alarmes les mêmes soupirs
Fils de César ou fils de rien
Tous les enfants sont comme le tien...
                                            Jacques Brel, Fils de
 
Timișoara, 18 juin 2011

Chers amis, chers sympathisants,
Pas de répit ! L’innovation étant un mot clé chez nous,
voici la livraison des dernières nouvelles sous une forme particulière.

 
Huit ans ! L’âge de raison
Huit ans, l’âge pour une maison ?
Huit ans, l’âge moyen des enfants qui fuguent de la maison, la première fois.
Nous, au contraire, on s’installe. Dans la nature, un petit village.
Enfin du solide, du dur. Pour continuer à être flexibles.
Se ressourcer à la campagne. Pour continuer à arpenter la rue, les rues, où tout se passe, le coeur de l’action.
Développer les services : l’hygiène, le jardinage, l’apprentissage…
A terme, pouvoir accueillir, pour une période définie, de transition, certains jeunes.
Huit ans d’efforts, de peines et de joies.
Huit ans de témoignages, de veille et d’urgence.
Huit ans d’artisanat.
Avec des résultats que l’on n’aurait jamais espérés en 2003.
Qui nous aident à continuer notre lutte !
Huit ans comme garantie d’une confiance totale, d’une connaissance mutuelle.
Qui font espérer qu’un jour, dans quelques années, il n’y aura plus un seul enfant, mineur, à dormir dans les rues de Timisoara.

 
La plupart fils de rien ou bien fils de si peu
Qu'on ne les voit jamais que lorsqu'on a peur d'eux
Léo Ferré, Les Anarchistes

 

Comme toutes les filles de 11 ans dans la rue, elle ressemble à un garçon. Surtout depuis qu’elle a été rasée à cause des poux. Les bretons seront sensibles à son prénom, Hermina. C’est la plus frêle, la plus fragile de tous nos jeunes. Depuis un an, on s’apprivoise, on échange très peu de paroles. Elle a une voix si faible qu’il faut souvent la faire répéter.
 
Ce mardi soir, pendant les activités en rue, au milieu des 20 jeunes aux voix fortes, elle répète : « rentrer à la maison ». Alors on va faire vite, vite et bien. Le jeudi, 17 mars, on se voit comme d’habitude à l’Institut Français. Elle dort pendant le film, elle s’applique pour les mathématiques. Puis la toilette, les nouveaux vêtements. Et à 18 heures, le grand départ.
 
Nico conduira 250 kilomètres, Lori lui fera la discussion et le cours de roumain au fond du camion, avant qu’elle ne s’endorme. Une fois sur place, Dom fera promettre à son père, sur l’honneur, qu’il ne la battra ni ne la grondera. Le sourire éclate et la joie de vivre renait, dans le camion puis quand on arrive, quand elle montre la route, son chemin…


                              
 
TOUJOURS DANS L’ACTION !
 
Ce printemps, 85 jeunes rencontrés dans la rue, dont 22 mineurs.
Si l’on retire ceux qui sont de passage (croisés une fois ou deux seulement) et ceux qui sortent de la rue, nous nous occupons particulièrement de 14 mineurs et 60 adultes.
C’est le nombre le plus faible depuis 8 ans, preuve que les choses bougent, que la persévérance finit par payer…
Depuis l’année dernière, 10 mineurs sont toujours dans leurs familles, et 12 jeunes ont désormais un appartement (souvent des couples).
 
Des démarches médicales et sociales quasiment tous les jours.
49 jeunes ont participé aux activités du jeudi à l’Institut Français : école, jeux, films, projet photographique…

 
Dernière (bonne) nouvelle : encore 2 mineurs sont rentrés chez eux cette semaine.
Il en reste 12 dans la rue à ce jour (ils étaient plusieurs dizaines il y a encore 5 ans).




                                     
Le projet « Pont de la Paix », en République serbe de Bosnie, c’est l’affaire de Iain (les organisateurs sont des amis à lui). Réunir 420 enfants de religions différentes, sur le lieu même d’atrocités encore récentes, pour construire du dialogue, de la connaissance mutuelle, du respect, ça mérite bien qu’on aille y planter notre chapiteau. Alors, le temps d’une semaine, toute l’équipe s’est déplacée, pour animer des ateliers de cirque. Dans la camionnette de Iain et dans la cabine du poids lourd qui transportait le chapiteau, il y avait également Ana-Maria et Stefan, les premiers jeunes avec qui on quitte Timisoara et la Roumanie pour se retrouver entre animateurs, collègues.
Expérience enrichissante, à renouveler. Aucun souci à déplorer. En revanche, une belle énergie, de très bons souvenirs… Et au retour, pour eux, une envie d’aller de l’avant, de sortir du petit monde de la rue… A suivre. Déjà impressionnant !



 

                                                    
 
BASE DE DONNÉES - STATISTIQUES
 
Nous avons enfin réussi à mettre à jour toutes les statistiques depuis 2003.
Ce qui nous apprend beaucoup de choses…
 
En 8 ans, nous avons rencontré 373 personnes dans la rue.
Parmi elles, 227 sont ou ont été des bénéficiaires, ce qui veut dire qu’on les connait bien.
Seulement 31 % d’entre eux sont toujours dans les rues de Timisoara à ce jour.
 
Nous connaissons la situation actuelle de 170 jeunes.
73 sont toujours dans les rues à Timisoara (42 %)
54 sont dans leurs familles (31 %)
22 sont devenus locataires (12 %)
14 sont en prison (8 %)
5 sont à l’étranger (3 %)
6 sont décédés (3 %)
 
Autant de jeunes sont désormais dans leurs familles ou locataires d’un appartement que ceux qui sont restés dans la rue.
Soit, actuellement, quasiment une chance sur deux de s’en sortir, de s’intégrer.


 
 

 
LES BONNES SURPRISES
 
Une des difficultés, ici, vient du fait qu’on ne prend jamais des nouvelles des jeunes que l’on ramène chez eux. Même quand on a un numéro de téléphone. Trop peur de leur donner envie de revenir. De tomber au mauvais moment…
Et puis, quitter la rue, c’est se dégager de tout son univers, jusqu’à s’affranchir de l’aide de la Casa.
 
Tant pis pour nous ! On ne sait jamais vraiment ce qu’ils deviennent. On suppose, on est même convaincus que s’ils retournent dans la rue, on les reverra très vite à Timisoara, là où ils ont leurs habitudes, leurs copains. Sauf s’ils sont dans les rues de Rome, Madrid ou Paris…
C’est comme ça, pour nous ça fait partie du boulot !
Sauf qu’en ce printemps 2011, on a de la chance !
 
Marian, 14 ans à l’époque, que l’on a conduit dans sa famille à Resita il y a 2 ans, qui est revenu après quelques semaines, que l’on a ensuite mis dans le train, qui est revenu après quelques mois, puis qu’on a remis dans le train, en octobre 2010… Bien malin qui savait ce qu’il était devenu.
Il nous téléphone, en avril. Pour prendre des nouvelles, et surtout pour nous dire qu’il est bien à la maison, qu’il est content d’avoir quitté le sachet de drogue, qu’on se reverra peut-être à Timisoara, mais pas avant 2015 !
 
Ensuite, Iosca. Ce gamin perdu qui était le seul mineur dans la bande redoutée du pont Decebal, il y a 6 ans. Cet enfant qui se mettait d’un seul coup à crier à tue-tête, pour que l’on fasse attention à lui. Ce môme pour qui il était difficile d’entrevoir une solution… Iosca est devenu adolescent, on a pu progressivement parler « sérieusement ». Partager beaucoup d’activités. Prendre le temps. Il y a deux ans, avec Toni, on faisait 400 kilomètres pour l’amener chez son père (il est orphelin de mère), dans un village isolé. Il y restait un mois avant de revenir, ce qui alors dépassait nos espérances. Un an plus tard, il était de nouveau décidé ! Avec Ashok, on reprenait la route, on lui faisait confiance, malgré les mauvais conseils de ses amis. C’était en juin 2010. Depuis, aucune nouvelle, c’est la règle.
Mais quand, la semaine dernière, on croise par hasard son grand frère, qui nous apprend qu’il est toujours dans son village, depuis bientôt un an, qu’il a grandi et grossi, et qu’il est hors de question qu’il revienne dans nos rues… Alors, là, on se sent bien…
 
Enfin Anica. Jeune fille de 12 ans réservée, élève douée. Ramenée chez sa grande soeur l’an passé. Revenue pour un court séjour à Timisoara, puis disparue. Lorsque l’on reconduit sa petite soeur, Hermina, le 17 mars, elle est chez ses parents. Elle a retrouvé sa route comme une grande. Elle nous dit qu’elle va bien.
 
A ce jour, plus de 2 mineurs sur 3 sont toujours chez leurs parents, après que nous les y ayons conduits.

 





 
 
On connait Iuliana, 15 ans, depuis quasiment le début de notre action. Fille dans la rue depuis qu'elle sait marcher, c'est peu dire qu'elle en a bavé ! On l'a traitée pour la syphilis l'automne dernier. Ce printemps, rebelote, des taux à en rendre incrédules les professionnels de santé. 
 
 
En 3 semaines, 9 rendez-vous avec des spécialistes. plus un ophtalmologue tant qu'à faire.
 
 
Des piqures tous les 5 jours.
 
 
En 9 rendez-vous fixés directement devant la clinique, pas dans son squat' (à elle de faire le premier pas), on l’a à peine attendue. Ce matin, c'était la dernière injection, la délivrance... On lui avait promis un jus de fruit...
 
 
Elle était en avance. Dès qu'elle a vu Lori et Fanny, elle a dit "on finit le traitement, je veux rentrer à la maison".

Coups de fil entre nous... A 12 heures 30, on prend la route, c'est Nico qui conduit, avec sa camionnette. On se tape 160 kilomètres, imprévus. On arrive dans la ville, elle ne reconnait rien. On cherche, on demande, enfin on trouve son père. Encore 160 kms et on arrive à l'heure pour la sortie rue...
 
 
Elle reviendra à Timisoara, la vie n'est pas si facile. N'empêche que, après 3 placements faits par nous dans le passé et dans le centre qui aurait dû l'héberger toute son enfance, duquel elle s'est sauvée à raison, nous la laissons à son père et la quittons, elle et son sourire jusqu'aux oreilles... Elle est heureuse et elle est fière. Elle est fière d'elle, et fière de nous. Ou plutôt fière d'elle un peu grâce à nous.
 
 
Tout comme on est fiers d'elle...

          
Ce message a été écrit le 19 avril 2011.
 
Un mois plus tard, Iuliana est décédée.
 
D’une tumeur au cerveau, jamais décelée depuis 5 ans.
 
C’est la nouvelle la plus triste jamais apprise à la Casa.
 
Il n’y a pas lieu ici d’exprimer les sentiments de l’équipe,
 
à part celui de persévérer, d’aller plus loin, avec tous les jeunes,
 
notamment sa soeur Florica,
 
qui donnera naissance à un bébé dans 3 mois.

 
 
                        ______________________________________________
 
 
 

MERCI
 
 
Des énormes remerciements à la Fondation Abbé Pierre (Commission Internationale), à la BRD - Groupe Société Générale, à la Communauté Emmaüs « Les 3 Pierres » de Rédéné, à Bretagne sans Frontière (qui a organisé un Fest Noz, une expo-tombola, une
soirée gospel), au Festival Globe Théâtre de Canteleu, à Alain Sarat, à Jacek Wozniak, à Hexagone (Dorota, Sorina, Michael)… Et à tous ceux qui, de près ou de loin, soutiennent notre initiative !
 
     


        

 
N’hésitez pas à continuer ! Et à informer vos amis sur le parrainage (avec 66 % de déductions fiscales), qui peut garantir la pérennité de nos actions, de notre lutte contre l’indifférence.
 
 
Salutations !
 
 
Festival LES ENFANTS DU CIRQUE
 
5ème édition
 
23 et 24 septembre – Sînmartinu Maghiar
 
L’équipe du printemps 2011 : Lori Berdich, Georgi Birau, Moni Cismaru, Nico Fesquet, Fanny Lafon, Dom Langlois, Stéphane Morel, Iain Napier, Gabi Rau, Ioana Trifa, Larisa Ungureanu, Marie-Pierre Watremez



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